Ils ont pris d’assaut nos murs Facebook, notre fil d’actualités Twitter, nos Stories Snapchat et Instagram ou encore nos recommandations Youtube. Ces nouveaux médias qu’ils s’appellent Brut, Konbini ou encore Explicite n’hésitent pas à surfer sur la vague du buzz et des contenus chocs pour attirer la génération des millenials et même plus encore. Comment ces médias 100% Réseaux Sociaux réinvitent-ils le journalisme ?
Logo de deux des principaux médias 100% Réseaux Sociaux en France
Né aux Etats-Unis, le concept de média social, (médias 100% réseaux sociaux), s’est maintenant bien ancré dans le paysage journalistique français. Tout d’abord pure-players (100% site internet) il y a une dizaine d’années, ils sont nombreux à s’être restreints aux seuls Facebook, YouTube, Snapchat, ou encore Twitter. Et pour cause, en 2019, leur cible « les digital-natives » (expression américaine pour désigner la génération ayant grandi en même temps que le développement d’Internet), passent pour la plupart par ces réseaux sociaux pour s’informer : 45% des 18-24 ans utilisent Internet et les Réseaux Sociaux, et la moitié d’entre eux les réseaux sociaux uniquement. Leur objectif est clair, ne pas attendre l’audience mais aller la chercher là où elle est présente.
Infographies : Sondage IFOP pour la Fondation Jean-Jaurès et ConspiracyWatch sur les pratiques médiatiques des français
Un fond et une forme ajustés pour les réseaux sociaux...
En plus, d’aller chercher les « jeunes » ces médias n’hésitent pas à adapter leurs contenus à leur audience. Ainsi, ils ont fait de la vidéo leur cheval de Troie : « notre format est simple, des vidéos pour la plupart courtes, anglées, commentées, sous titrées pour être vues et diffusées au maximum » - me confie Laurent Lucas, co-fondateur et directeur éditorial de Brut. Un format qui attire l’oeil dans la masse des réseaux sociaux et mis en avant par ces derniers.
Souvent désincarnées, ces productions délaissent les codes du journalisme dit « traditionnel » pour faire vivre en direct ou plutôt duplex, le reportage. Le journaliste est souvent derrière sa caméra, ou que dis-je son smartphone pour y narrer l’action pour son audimat qui lui va commenter, liker, partager. « L’objectif est d’être rentable, un contenu désincarné coûtant moins cher qu’un incarné qui demande des moyens techniques et humains. Faire de la vidéo peut rapidement devenir onéreux, mais ça reste toujours plus intéressant que de faire de la télévision. Un ordinateur, un réflex ou un iPhone peuvent suffire à faire du Brut » - précise Laurent Lucas.
Par ailleurs, ces nouveaux médias n’hésitent pas à emprunter une ligne éditoriale originale, privilégiant les contenus engagés et exclusifs souvent délaissés ou non traités par les médias plus traditionnels. Dans l’optique d’aller susciter une réaction, une émotion chez son « viewer ».
Pour Jean-Marie Charon, sociologue des médias, ces choix éditoriaux sont stratégiques. « La génération des millenials n’a pas cette culture des médias comme institutions. Chaque contenu se vaut, c’est pourquoi cette stratégie d’engagement participe à la viralité de leurs vidéos, à produire une certaine audience pour être rentables financièrement ». Un lien horizontal avec leur audimat, qu’ils n’hésitent pas à mobiliser. En 2018, après un reportage sur les conditions de vie des habitants de la région du Kasaï en République Démocratique du Congo, Konbini a décidé de lancer une collecte de fonds pour leur venir en aide. Une opération à succès car elle a permis au média de collecter 600 000 euros et de faire parler de lui. « Ces médias n’ont pas peur de tomber dans la subjectivité pour plaire à leur audience » - constate Rémy Oudghiri, sociologue et directeur général de Sociovision. « Nos jeunes se préoccupent beaucoup plus des maux de leur société que leurs parents ont pu l’être à leur âge. C’est en cela que ces médias les attirent ».
Une critique qui a conduit à une prise de conscience de ces médias, notamment Konbini qui a diversifié son catalogue avec Konbini News. La branche propose des reportages incarnés, plus longs, plus qualitatifs abordant des sujets de société à travers le monde souvent méconnus en France.
Outre l’avénement de ces reportages plus qualitatifs, le journaliste Darius Rochebin, présentateur du JT de la Radio Télévion Suisse, voit d’un bon oeil ces médias : « ils nous obligent finalement nous les journalistes de télé à nous renouveler. Cette démocratisation des médias sur les réseaux sociaux permet à tous d’avoir accès à l’information facilement. Cela a permis au journalisme de se diversifier, de s’améliorer dans la pluralité et l’originalité des contenus proposés notamment du journalisme d’investigation ».
Il apparaît donc que ce phénomène de média social n’est pas là pour prendre la place des médias traditionnels mais les compléter pour toucher un plus large public, « les modes de diffusion sont différents mais la volonté est la même, celle d’informer » partage Laurent Lucas. Lors du débat organisé « Question de génération : nouveaux médias, nouveau journalisme ? » au Centre Pompidou en Novembre 2017, Sarah Dahan - rédactrice en chef du Snapchat Discover de Konbini, passée par les grands noms de la presse magazine - est formelle : « ces derniers temps, les réseaux sociaux ont été plus innovants que les médias traditionnels » avant d’ajouter : « ce mépris du digital est troublant, il n’y a pas à être pour ou contre, c’est juste là et il faut s’adapter ». (propos rapportés par la revue Eiffeuillage).
Alexandre Crouzet